Le Rallye Paris-Moscou-Pékin (92) : une épopée automobile
C’est le premier Rallye-Raid transcontinental à relier Paris à Pékin. Imaginé par René METGE, pilote triple vainqueur du Paris-Dakar, ce projet fou d’un rallye s’étendant sur un peu plus de 16 000 km sur la route de la soie mettra plusieurs années à se concrétiser.
Véritable tour de force logistique, le convoi du rallye a dû franchir de nombreuses frontières sensibles (le contexte post-soviétique de 1992 a compliqué les passages en ex-URSS et en Chine), en transportant du carburant et des tonnes de pièces sur des milliers de kilomètres, tout en installant un bivouac mobile chaque soir, et ce, pendant 27 jours de course sans interruption.
Plus de 150 équipages venus du monde entier, sont présents le 1er septembre 1992, au pied de la Tour Eiffel à Paris, prêts à s’élancer pour cette folle aventure. 153 véhicules prennent le départ à l’issue d’une grande parade devant le Trocadéro : 94 voitures, 15 motos et 44 camions.
Les concurrents traversent d’abord l’Europe (France, Belgique, Allemagne, Pologne), puis la Russie via Moscou, avant de s’engager en Asie centrale (Kazakhstan, steppe d’Asie, déserts d’Ouzbékistan et du Turkménistan) et enfin en Chine, pour terminer à Pékin le 27 septembre 1992.
Après près d’un mois d’efforts, seuls 46 véhicules seulement parviennent à rallier l’arrivée et être classés. René METGE avait pourtant prévenu dès le départ qu’il n’avait « rien choisi de facile » et que la traversée serait très dure.
Une course par élimination
Les premiers jours en Europe servent d’échauffement, mais non sans difficultés : un prologue de 3 km en Normandie, à Alençon, détrempé par de fortes pluies, s’est transformé en véritable bourbier. Après un passage par Bruxelles et un second prologue en Pologne, les concurrents gagnent Moscou où ils s’élancent depuis la Place Rouge. En quittant la capitale russe, le rallye quitte le bitume pour les pistes. Les équipages affrontent alors la steppe russe, le long de la Volga, sur des pistes rapides (permettant des vitesses de pointe supérieures à 200 km/h).
La traversée du Kazakhstan et des républiques d’Asie centrale laisse apparaître les premières étendues désertiques : plaines semi-arides, passages sablonneux et navigation au cap dans des étendues immenses. Le 7 septembre, l’étape vers Uralsk se déroule aux environs du site d’atterrissage de Gagarine, et rappelle le Dakar par ses dunes.
Plus loin, en approchant la mer d’Aral et le désert du Karakoum, l’itinéraire à travers le Turkménistan est aussi piégeux que celui du Ténéré africain. La caravane fait route vers Boukhara et Samarkand, villes mythiques qu’elle ne fait qu’apercevoir en Ouzbékistan, puis rejoint Almaty et Chimkent au Kazakhstan.
Le passage en Chine se fait par le col de Torugart à 3 752 m d’altitude dans les monts Tian Shan, dans une portion alpine extrême, où se rencontrent Pamir et Himalaya. La spéciale est si difficile que l’organisation annule le chronométrage pour raisons de sécurité.
Une fois en territoire chinois, les concurrents découvrent des conditions climatiques diluviennes. Une pluie torrentielle s’abat sur la région du désert du Taklamakan, rendant les pistes impraticables. Lors de l’étape du 18 septembre, seul deux motards (PETERHANSEL et MAGNALDI) parviennent au bout du parcours prévu, tous les autres concurrents étant bloqués par la boue dans des oueds en crue. La direction de course doit interrompre l’étape et neutraliser le classement après 115 km de spéciale seulement.
Plus loin, la traversée du désert de Gobi rappelle le Sahara par ses dunes à perte de vue, si ce n’est la présence de montagnes et l’apparition de la célèbre Muraille de Chine, que le parcours croisera à trois reprises. Mais de nouveaux dangers guettent les concurrents : dans les steppes de Mongolie intérieure, sous une fine couche de sable, se cachent par endroits de véritables lacs salés sans fond, constituant des pièges redoutables. Lors de l’avant-dernière étape (vers Hohhot), plusieurs véhicules s’ensablent brutalement dans ces marais salants.
En dernière partie de rallye, les équipages roulent en Chine du Nord dans des plaines plus roulantes, mais la fatigue et les machines éprouvées rendent chaque kilomètre difficile. Les concurrents traversent la Chine intérieure sous les acclamations d’une population massée sur les bords des routes. Des centaines de milliers de spectateurs curieux, assistent à ce spectacle inédit. L’arrivée à Pékin, après 27 jours de course, marque la fin d’une aventure unique dont l’équipage français Pierre LARTIGUE / Michel PERIN sur Citroën ZX Rallye-Raid sortent vainqueur dans la catégorie automobile devant 2 Mitsubishi. Côté Moto, c’est le Français Stéphane PETERHANSEL (Yamaha) qui s’impose de justesse, avec moins de 5 minutes d’avance sur son compatriote Thierry MAGNALDI (Yamaha).
Ce Paris-Pékin 92 a été une course par élimination avec son lot d’incidents mécaniques, y compris pour les grosses équipes. Ainsi, le pilote finlandais Timo SALONEN a vu sa Citroën partir en fumée dans le désert kazakh. Lancé à 160 km/h, il entend un bruit anormal puis aperçoit des flammes sur le côté : en quelques instants l’habitacle prend feu, l’équipage évacue et la ZX s’embrase complètement, ne laissant qu’un châssis calciné en 5 minutes.
Le team Citroën Sport avait intégré dans ses rangs un pilote « d’assistance rapide », Alain AMBROSINO, chargé d’épauler ses collègues en cas de pépin. Ce rôle s’est avéré crucial : AMBROSINO n’a pas hésité à s’arrêter en spéciale pour aider à réparer la voiture de Pierre LARTIGUE, puis plus tard celle d’Hubert AURIOL, sacrifiant ses chances pour soutenir ses coéquipiers. Grâce à cette stratégie, les pannes sur les Citroën ont pu être résolues plus vite, alors que chez Mitsubishi les pilotes de tête devaient attendre leur camion assistance bien plus longtemps en cas de problème. Les équipages japonais ont d’ailleurs reconnu que cette réactivité du soutien Citroën a fait la différence.
La navigation a également donné du fil à retordre : malgré un parcours reconnu, certaines notes du roadbook se sont avérées trompeuses d’après Hubert AURIOL, et plusieurs équipages ont raté des contrôles de passage ou erré parmi les multiples pistes de la steppe. Bruno SABY écopera presque de 10 heures de pénalité pour un point de passage manqué près de Boukhara, rattrapé in extremis.
Cette course restera dans les annales comme un marathon motorisé exceptionnel par sa longueur, sa difficulté et son caractère légendaire. Comme l’a déclaré Guy FREQUELIN (directeur de l’équipe Citroën Sporrt) à l’arrivée : « Notre victoire est la plus difficile de toute l’histoire des marathons ». Cette édition inaugurale a ouvert la voie à d’autres Rallyes Raids pour Citroën. En effet, sans cette victoire au Paris – Moscou - Pékin, il est probable que Citroën n’aurait pas continuer son programme Rallye-Raid qui lui permettra, par la suite, de remporter 5 coupes du monde FIA constructeurs des rallyes tout terrain de 1993 à 1997, et 5 coupes du monde FIA des pilotes des rallyes tout terrain (4 titres mondiaux pour Pierre LARTIGUE, 1 titre pour Ari VATANEN).